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Une innovation en victimologie :
l'expertise commune
Auteur : Docteur Sam Benayoun
expert près la cour d'Appel de Paris
Date : octobre 1997
Les efforts de prise en charge dans l'urgence des victimes
d'attentat contrastent maintenant avec les difficultés à
moyen et long terme qui persistent dans la situation des individus impliqués
dans un acte de terrorisme.
L'attention portée par la Communauté Nationale et les médias
est très contingente de l'actualité, et il n'est pas rare
que certaines victimes fassent état d'un sentiment de solitude,
vécu parfois comme un abandon, lorsque des mois après les
faits, elles sont confrontées à des difficultés psychologiques,
sociales, matérielles, et surtout lorsqu'elles entrent dans le
maquis de l'indemnisation.
Le processus indemnitaire est en effet particulièrement complexe,
et fait appel à des notions médico-juridiques telle que
la consolidation, l'I.T.T, les préjudices, autant de termes et
de notions spécialisées que peu de médecins maîtrisent
et qui sont parfaitement inconnus du public.
L'analyse rétrospective des procédures d'indemnisation lors
des attentats précédents a conduit au constat que les victimes
ont besoin d'être conseillées et accompagnées tout
au long de la procédure, sous peine de voir, malgré les
efforts fait en amont, régresser certaines situations.
C'est ainsi par exemple qu'une expertise réalisée dans de
mauvaises conditions, (sans médecin conseil, sans préparation
à l'expertise, sans dossier solidement constitué), peut
aboutir à une indemnisation minorée voire à une catastrophe
psychologique quand l'évaluation médico-légale est
perçue comme inquisitoire.
Sous l'impulsion de S.O.S. ATTENTATS, la situation des individus impliqués
dans les attentats terroristes n'a cessé de s'améliorer
au plan de l'indemnisation.
Cette amélioration de la prise en compte des victimes d'attentats
a pour corollaire un alourdissement de la procédure déjà
particulièrement complexe en raison de son imbrication avec la
législation des accidents du travail (attentats aux heures de trajets
des travailleurs dans le métro ou le RER).
L'évaluation médico-légale des séquelles consécutives
à l'attentat relève donc de plusieurs organismes indépendants
les uns des autres, tenus d'indemniser, selon les critères qui
leur sont propres, les mêmes victimes pour le même dommage.
Il ne s'agit pas d'une double ou d'une triple indemnisation, mais bien
d'une indemnisation calculée en tenant compte de l'ensemble des
paramètres que nous avons cités.
C'est ainsi par exemple, qu'une personne victime d'un attentat terroriste
sur le trajet de son travail bénéficiera d'une I.P.P qui
lui sera servie au titre des accidents du travail, tandis que les autres
chefs de préjudice (souffrances endurées, préjudice
esthétique etc..) seront indemnisés par le Fonds de garantie,
et que les soins permanents après consolidation seront pris en
charge par le Ministère des Anciens Combattants.
Pour la même victime, parvenue au stade indemnitaire, celle-ci devait
auparavant se soumettre à de multiples expertises, au titre du
régime général de la Sécurité sociale,
au titre du régime des accidents de travail, au titre des Anciens
Combattants, au titre du Fonds de garantie et parfois au titre d'une assurance
individuelle, lorsque celle-ci existe.
L'expertise est un moment douloureux pour la victime qui doit reparler
de ses émotions et de ses sentiments au moment et depuis l'attentat,
qui doit raconter dans le détail son parcours thérapeutique
et faire, selon le terme consacré, état de ses difficultés
actuelles et de ses doléances.
Souvent ces expertises sont l'occasion de rechute sur le plan psychologique
avec en sus le sentiment parfois d'être obligé de se justifier.
La multiplication de ces expertises par les différents organismes
entraînaient jusqu'alors un sentiment de lassitude qui pouvait conduire
parfois les victimes à oublier certaines séquelles.
Rapidement, après l'attentat du 25 Juillet 1995, S.O.S. ATTENTATS
a imaginé la notion d'expertise unique pour pallier ces difficultés
Françoise Rudetzki a que les victimes du 25 Juillet 1995 puissent
déjà bénéficier de l'expertise dite unique.
Celle-ci consiste donc à faire examiner par un seul médecin
expert la victime. Les conclusions médico-légales d'expertise
s'imposant aux divers organismes qui utilisent le rapport du médecin
pour établir leurs propres conclusions en fonction de leurs critères.
Cette procédure qui a bien fonctionné et a évité
aux intéressés de multiples examens médico-légaux,
qui en définitive n'avaient pour objet que de recueillir les mêmes
informations.
Bien sur cette expertise unique ne concerne que la globalité du
dommage et n'intéresse pas les examens spécialisés
en O.R.L. et en psychiatrie en particulier.
Cette expertise unique conserve également le caractère contradictoire,
puisqu'elle est réalisée, la plupart du temps, en collaboration
avec le médecin conseil de la victime, qui l'a préalablement
examiné et aidé à constituer son dossier.
L'expertise unique est maintenant régulièrement pratiquée
depuis deux ans. Cette procédure simple et de bon sens, nous paraît
naturelle aujourd'hui, mais ceci ne doit pas occulter l'énorme
travail de mise en point réalisé en relation avec le Fonds
de garantie, pour faire admettre à chaque administration concerne
la nécessité de déléguer une partie de ses
prérogatives.
Au-delà de la portée pratique de cette mesure, (gain de
temps, délais plus courts, réduction du nombre d'examen),
cette mesure est à mon avis l'exemple même d'une authentique
démarche victimologique qui se place délibérément
du côté de la victime, en atténuant le côté
"victimisant" de l'expertise sans pour autant porter atteinte
aux prérogatives de l'organisme indemnisateur.
Lorsque la procédure d'expertise unique a été bien
encadrée par les médecins conseils, elle a pu donner la
plupart du temps de bons résultats, si on en juge par le nombre
de dossiers réglés à l'amiable sur des bases satisfaisantes.
S.O.S. ATTENTATS a donc joué un rôle essentiel et original
dans le processus indemnitaire, prolongeant ainsi son action de prise
en charge psychologique d'urgence, de prise en charge sociale globale
en contribuant a faire émerger les conditions d'une indemnisation
harmonieuse, juste, équitable et dans des délais raisonnables.
Cette expertise unique s'inscrit naturellement dans le prolongement des
autres mesures prises par l'association S.O.S. ATTENTATS concernant l'indemnisation
des victimes à savoir :
- la mise en place d'une liste de médecins conseils spécialistes
et généralistes qualifiés dans l'évaluation
du dommage corporel, disponibles pour examiner les victimes et les accompagner
au cours de l'expertise diligentée par le Fonds de Garantie, la
Sécurité sociale, du Ministère des Anciens Combattants
et Victimes de Guerre,
- l'accessibilité à la médecine de recours des victimes
de l'attentat, les honoraires des médecins conseils étant
directement pris en charge par le Fonds de garantie,
- l'organisation de diverses réunions d'information sur le sujet,
avec la participation de juristes et de médecins spécialisés
pour permettre aux victimes de mieux appréhender les notions médico-juridiques
qui président à l'évaluation de leur dommage corporel,
- l'Association est en contact permanent avec les organismes indemnisateurs
et les autorités pour régler ponctuellement les cas difficiles.
Quelle que soit la cause de leur atteinte (attentats, accidents, catastrophes
naturelles, etc.) les victimes de dommage corporel de notre pays sont
confrontées à la complexité du processus indemnitaire
et aux difficultés qui surviennent tout au long de ce parcours.
Pour l'observateur attentif, il demeure un paradoxe étonnant dans
notre pays où les textes législatifs qui encadrent l'indemnisation
des victimes sont parmi les plus favorables au monde, alors même
que dans la réalité, l'exercice de ce droit de recours suscite
des frustrations et parfois un sentiment d'injustice. Le seul fait "victimal"
est insuffisant pour répondre de cette réalité et
il est vraisemblable que des dysfonctionnements continuent de perturber
des dispositifs très élaborés.
L'expertise unique est l'exemple même d'une initiative intelligente,
reposant sur une idée simple, dont la mise en pratique est de nature
à améliorer la situation des victimes tant au plan matériel
que psychologique et à réduire le coût global de la
gestion des dossiers dans le contexte de rigueur budgétaire actuelle.
Il nous reste à espérer que d'autres idées originales
seront portées par des victimes, nourrissant ainsi le débat
indemnitaire. La réparation du dommage reste en définitive,
de même que la reconnaissance du statut de victime et la prise en
charge thérapeutique, les seules réponses que peut proposer
une société à ceux de ces citoyens qui sont pris
dans la tourmente... "
Docteur Samuel BENAYOUN
Expert près de la Cour d'Appel de Paris
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