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Soins psychologiques aux victimes d'attentats Auteur : Docteur François
LEBIGOT, Professeur agrégé du Val de Grâce L'explosion d'une bombe ne provoque pas que des blessures
corporelles. Elle entraîne aussi des "blessures psychiques",
même en l'absence de toute lésion physique. Leur gravité,
et donc l'importance et la durée des séquelles qu'elles
entraînent, dépend de deux sortes de causes. Le traumatisme psychique Ces "blessures" graves, ou même moins graves,
sont des blessures pénétrantes, qui atteignent la vie psychique
en profondeur. Elles sont à l'origine de bouleversements intérieurs
importants, que la victime va ressentir comme un changement de sa personnalité.
Elle n'est plus "comme avant" et ne perçoit plus les
autres de la même façon. Elle se sent seule, avec la décourageante
conviction de porter en soi une expérience incommunicable. Les soins immédiats Comme les blessures corporelles, les "blessures psychiques"
nécessitent des soins précoces. Mais la comparaison s'arrête
là car il ne s'agira pas ici d'apporter de l'extérieur les
matériels et les produits qui vont réparer la plaie, la
brûlure, les fractures etc. Le rôle du psychiatre ou du psychologue
va être différent et le "blessé" sera, lui,
l'acteur principal de son traitement. En pratique, l'agitation et le désordre qui règnent
dans les suites d'un attentat n'aident pas les victimes à rester
sur place et chercher ces interlocuteurs "psy". D'autre part
ceux-ci, pour les mêmes raisons, ont du mal à organiser des
groupes de parole stables, ou à prendre en charge tout le temps
nécessaire une victime enfermée dans son cauchemar. L'ampleur
des réactions émotionnelles limite aussi la portée
des interventions thérapeutiques, lorsque l'angoisse fragmente
le discours en éclats qui se perdent dans le vide, ou que la sidération
bloque l'émergence des mots. Ce mouvement d'évasion, ce retour à un monde humain est moins difficile pour qui a survécu à une catastrophe naturelle que pour quelqu'un qui échappe à un attentat. Commis par des hommes pour tuer et terroriser, celui-ci détruit en chacun ce minimum de foi en l'autre sans laquelle la vie n'est pas supportable. Pourtant, sortir de l'emprise du traumatisme passe aussi par un retour de la confiance en son prochain, si mesurée soit-elle. Les soins post-immédiats L'expérience montre que c'est le temps décisif.
Ils prennent place dans les jours qui suivent l'événement,
ou lors de l'apparition des troubles psychiques si ceux-ci se déclenchent
avec retard. Ils nécessitent, de la part du psychiatre ou du psychologue,
la connaissance d'une technique d'entretien adaptée faute de quoi
la rencontre entre le patient d'une part, et son thérapeute, si
qualifié soit-il, d'autre part, risque d'être une rencontre
ratée. En effet, il ne s'agit pas ici seulement, comme il est habituel
en psychiatrie, de s'intéresser à l'histoire personnelle
et aux symptômes de celui qui vient confier sa souffrance. L'événement
prime car, comme nous l'avons vu, c'est lui qui risque d'emprisonner durablement
la victime, de la contraindre à subir de manière répétée
son terrible pouvoir. Deux, trois, quatre entretiens peuvent suffire à ce que l'attentat trouve sa place dans le fil de l'histoire de la personne, et devienne ainsi un événement du passé. C'est à dire un événement qui ne se répète plus, qui ne pèse plus de tout son poids sur l'esprit et qu'on peut raconter. Parfois il est nécessaire d'aller plus loin, d'entreprendre une psychothérapie, de s'aider de médicaments. Soit parce que le traumatisme a touché à quelque chose d'essentiel dans la vie de la personne, soit parce que son extrême violence a provoqué une grande désorganisation psychique. Les blessés hospitalisés Les victimes les plus éprouvées ont généralement des blessures corporelles qui nécessitent leur transfert sur les hôpitaux. Là, dès que leur état le permet, la règle est de plus en plus qu'un psychiatre vienne les rencontrer et commence avec eux ces soins "post-immédiats". Malheureusement, très souvent les conditions ne sont pas réunies pour que ces rencontres soient profitables. L"un des obstacles peut être constitué par la blessure corporelle elle-même lorsqu'elle accapare l'esprit du patient au point que le reste lui paraisse secondaire. Ou bien, comme cela arrive souvent, les troubles psychiques ne s'installent qu'après la sortie de l'hôpital. Parfois, c'est le psychiatre lui-même qui limite son action à une aide ponctuelle en rapport avec le retentissement moral des blessures physiques et de leur traitement. Or, rappelons-le, ces personnes présentant des lésions corporelles dues à l'explosion sont celles qui présentent le plus de risques d'apparition de troubles psychiques sévères. Il est vraiment important que, d'une manière ou d'une autre, fut-ce à la suite d'une démarche personnelle ou de l'entourage (au sens large), elles rencontrent l'interlocuteur qui leur convient. Le S.A.M.U. de Paris distribue une liste de centres de consultation qui ont acquis une expérience de la prise en charge psychologique des victimes d'attentats. Il en est de même dans d'autres grandes villes de Province. S.O.S ATTENTATS dispose maintenant d'une équipe spécialisée avec un psychiatre et plusieurs psychologues qui peuvent assurer des soins, orienter. Les soins tardifs La situation a changé par rapport aux soins précoces
où il y avait urgence à dire, urgence à se libérer
d'un événement générant une grande angoisse. Les études statistiques nous montrent qu'une fois sur quatre environ, un lent et progressif retour à un état de bonne santé psychologique s'effectue spontanément, surtout lorsque le choc de l'événement a été d'intensité faible ou moyenne. Pour la majorité des victimes en revanche, les symptômes persistent, s'atténuent souvent, s'aggravent parfois à nouveau à l'occasion de déceptions, de ruptures, d'événements rappelant l'attentat etc. Des périodes plus ou moins longues de dépression et de découragement surviennent, elles, sans raison apparente. C'est dans ces moments difficiles qu'une aide médico-psychologique est demandée. Elle prendra une forme différente dans chaque cas. Chaque individualité a une façon bien à elle de composer avec le traumatisme en fonction de sa personnalité, de son histoire, de son inscription socio-familiale etc. Les difficultés auxquelles elle va se heurter dans son propre espace mental comme dans la réalité extérieure ne peuvent ressembler que très superficiellement à celles de quelqu'un d'autre. Enfin, il appartient à chacun de trouver, dans le cadre d'une relation thérapeutique, son chemin vers un peu plus de liberté et de confiance dans la vie.
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