Lutte contre l'oubli
Cérémonies d'hommage
2002

" Au nom des victimes... "
Discours prononcé par Françoise Rudetzki, Déléguée générale, lors de l'hommage organisé par S.O.S. ATTENTATS, à l'Hôtel National des Invalides.
En hommage aux victimes du terrorisme.
Cérémonie sous la présidence et en présence
du Premier Ministre Monsieur Jean-Pierre Raffarin.

Au nom des victimes du terrorisme, nous vous remercions Monsieur le Premier Ministre d'avoir accepté de présider cette cérémonie d'hommage.
Nous remercions également M. Philippe Massoni, chargé de mission auprès du Président de la République, M. Hamlaoui Mekachera, Secrétaire d'Etat aux Anciens combattants, M. Dominique Perben, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, tous les hauts dignitaires, les ambassadeurs, M. Bertrand Delanoë, maire de Paris, les élus, les Petits Chanteurs à la Croix de Bois, les sapeurs pompiers de Paris et tous ceux, venus en signe de solidarité,

Nous voici une nouvelle fois réunis autour de ce mémorial " Parole portée à la mémoire des victimes du terrorisme ", que S.O.S. ATTENTATS a fait ériger. Cette cérémonie est par votre présence, Monsieur le Premier Ministre, un hommage de la nation aux victimes du terrorisme.

Depuis 30 ans, le terrorisme est responsable de 17 000 morts et de plus de 60 000 blessés. La France a été confrontée depuis 1974 à de nombreux actes de terrorisme. La liste des victimes sur le sol français ou celle des Français à l'étranger est très longue, trop longue. Il y a 13 ans, jour pour jour, 170 personnes ont été tuées dans un avion de la compagnie UTA. C'est, cette date, que nous avons retenue comme symbolique. De nombreux parents et amis de victimes sont présents aujourd'hui ainsi que des parents et victimes des derniers attentats :

- celui du 11 septembre 2001, à New York, où cinq Français ont été tués,
- celui du 11 avril 2002, à Djerba, en Tunisie où un Français a été tué,
- celui du 8 mai 2002, à Karachi, où onze Français ont été tués,
- et celui du 31 juillet 2002, en Israël, un Français a été tué.

Sans oublier les nombreux blessés.

M. le Premier Ministre vous souhaitez être à l'écoute de la société civile, permettez-nous, donc, d'aller au-delà de l'hommage aux victimes et de vous faire part de nos graves préoccupations face aux menaces qui pèsent sur nos concitoyens.
S.O.S. ATTENTATS a malheureusement une longue expérience dans le domaine du terrorisme et de l'aide aux victimes. L'association a donc une véritable légitimité à être leur porte parole et à vous donner leur point de vue.

· Notre association regroupe 1 800 victimes du terrorisme. Elle a, depuis 1985, beaucoup œuvré.
· Nous avons fait évoluer le droit de toutes les victimes grâce au vote de six lois.
· Un Fonds de garantie a été créé dès 1986, il a indemnisé à ce jour près de 2 800 victimes d'attentats et des milliers de victimes d'infractions pénales.
· Depuis 1990, nous avons obtenu le statut de victime civile de guerre. Le terrorisme est depuis considéré comme une nouvelle forme de guerre.
· Nous sommes partie civile dans tous les procès et les procédures en cours, de l'attentat du Drugstore Saint Germain à Paris en 1974, aux instructions judiciaires en relation avec les attentats de New York et de Karachi attribués au réseau Al Qaïda.
· Une place plus importante a été donnée aux victimes dans le procès pénal.
· D'ailleurs, nous participerons, le 1er octobre, avec 190 victimes, au procès devant la Cour d'assises de Paris des trois auteurs présumés des attentats commis à Paris en 1995 dans le métro et le RER. MM. Belkacem et Bensaïd seront présents, Rachid Ramda sera jugé par contumace, la Grande-Bretagne se refusant obstinément à son extradition.
· Nous sommes plus que jamais persuadés que la justice, lorsque la prévention a échoué, reste la seule réponse digne des Etats démocratiques.
Hostiles à la peine de mort, nous voulons cependant que justice soit rendue, que tous les auteurs de crimes graves soient poursuivis et jugés, y compris les Chefs d'Etat en exercice. La raison d'Etat et la logique économique ne doivent plus être opposées aux victimes.
· Nous avons aussi œuvré, pour que les victimes ne tombent pas dans l'oubli ; ce mémorial en est le témoignage.
· Nous avons fait mener des études médicales qui ont permis de mieux évaluer les besoins des victimes au plan social et médical. Ces études sont à l'origine de la création des cellules d'urgence médico-psychologique et de la mise sur internet d'un guide pratique. Les résultats de ces recherches ont été immédiatement mis à la disposition des victimes de l'explosion de Toulouse.

Toutes ces actions passées se sont malheureusement heurtées à beaucoup trop d'incompréhensions.

Beaucoup d'actions restent à mener.

· En Europe, l'existence de frontières judiciaires s'oppose au bon fonctionnement de la justice, à la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité ; elle favorise l'impunité en créant des sanctuaires.
Il est urgent que le mandat d'arrêt européen, décidé au sommet de Laeken en décembre dernier, entre en application.

· Au plan international, le Président de la République l'a répété, le 11 septembre dernier, le terrorisme est un acte de barbarie. La Cour pénale internationale créée depuis le 1er juillet doit être un instrument de lutte contre cette barbarie. Elle doit permettre de condamner tous les bourreaux, qu'ils aient commis des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre, des génocides et des actes de terrorisme. Le colloque que nous avons organisé le 5 février à l'Assemblée nationale devrait permettre de faire avancer la justice internationale, dans le plein respect des droits de l'homme.
· M. Renaud Muselier, Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères a déclaré, tout récemment, devant l'organisme directeur de la Cour pénale internationale, que " l'impunité est un facteur d'instabilité des relations internationales et d'enchaînement des cycles de violences ".

· Aujourd'hui, 19 septembre, 13 ans, après, sont réunies des familles de l'attentat du DC 10, attentat le plus meurtrier qu'ait connu la France. Elles ont souffert et souffrent encore. Ces familles n'acceptent pas que, condamnés par la Cour d'assises de Paris, les six auteurs de cet attentat circulent librement dans leur pays. Certaines familles ont été oubliées lors des négociations menées par la France pour le règlement des indemnisations, d'autres estiment que la Libye devrait verser des dommages et intérêts punitifs et de véritables réparations.

· Quatre mois après l'émotion soulevée par l'attentat de Karachi, les veuves et les orphelins des onze techniciens sont confrontés, en dépit des engagements solennels, à de graves difficultés financières. Ils ont des besoins urgents.

Face à ces besoins, à ces difficultés, à l'ampleur de la tâche et au nombre des victimes, S.O.S. ATTENTATS ne peut plus, quant à elle, continuer à fonctionner dans sa forme actuelle.

Depuis des années, nous attirons l'attention des Pouvoirs publics sur la nécessité de prendre en considération la cause des victimes. Souvent, nous le savons bien, nous avons suscité des inquiétudes :

- Allions-nous déborder la justice, en exigeant " vengeance " ? Cette crainte est sans fondement.
- Allions nous déborder l'économique, en exigeant des réparations considérables ? C'est là, aussi, une interprétation fausse de notre action.
- Allions nous déborder l'administration, en nous organisant de notre côté ? C'est là une peur irrationnelle.
Nous avons chacun nos responsabilités ; les administrations et les services publics n'ont rien à redouter des associations de victimes. Il est temps de construire ensemble.

- Engagée sur le terrain, S.O.S. ATTENTATS fait un travail de proximité pour écouter, soutenir, aider, accompagner les victimes et leurs familles dans la durée avec des résultats et une expérience qui ne sont plus à démontrer.

- Partie civile avec 190 victimes des attentats de 1995 à Paris, victimes des attentats du RER Saint Michel, de la station Maison Blanche et du RER musée d'Orsay, notre action collective au plan judiciaire favorise un meilleur fonctionnement de la justice, facilite le travail des magistrats et permet à l'Etat de faire une économie de plus de 2,5 millions d'Euros (16 millions de Francs). Ainsi, le plus grand procès criminel, hormis ceux liés à la seconde guerre mondiale, pourra se tenir à partir du 1er octobre.
Nous tenons, ici à rendre hommage au travail des avocats qui nous sont dévoués, Maîtres Georges Holleaux et Francis Szpiner.

- Grâce à notre site internet, nous favorisons l'accès au droit et nous faisons œuvre de justice. Mais nous accomplissons cette mission de service public dans des conditions matérielles totalement inacceptables, avec des soutiens financiers insuffisants.

Alors, nous nous interrogeons :
· Est-il normal, s'agissant du terrorisme, que S.O.S. ATTENTATS ait à financer en grande partie les procédures judiciaires ?
· Est-il normal que nous attendions depuis plus de deux ans des locaux adaptés à l'accueil des victimes ?
· Est-il normal de ne pas pouvoir disposer d'une salle de réunion pour organiser des groupes de paroles et préparer les procès ?
· Est-il acceptable d'avoir interrompu les recherches médicales que nous avons suscitées au moment où certaines études mettent en doute l'efficacité du soutien psychologique tel qu'il est actuellement pratiqué ?
· Est-il normal que des bénévoles, médecins, psychologues, assistantes sociales ne soient plus en mesure d'effectuer leur mission dans des conditions décentes ?.
· Est-il normal que, jusqu'à votre venue, ce mémorial, financé par les victimes, avec l'aide de l'association " des Gueules cassées ", soit resté dans un total état d'abandon ? C'est malheureusement l'illustration de notre situation.

Nombre d'entreprises, publiques ou privées ont été la cible du terrorisme, nous avons pris en charge leur personnel, leurs clients, leurs usagers. Leur soutien n'est pas à la hauteur. Elles invoquent la responsabilité de l'Etat, il y va de la responsabilité de chacun.

La gestion des crises, des catastrophes, des accidents collectifs et des actes de terrorisme ne relève plus de l'exceptionnel mais du quotidien.
Il serait souhaitable qu'ensemble, nous puissions faire face aux défis et aux risques encourus en dehors des situations d'urgence et des moments d'émotion qui génèrent dans un premier temps un trop plein puis de grands vides.

M. le Premier Ministre, la création d'une Fondation nous permettrait de nous inscrire dans la durée. Nous ne pouvons plus mener nos actions en étant confrontés de façon permanente à la précarité.

La prise en charge des victimes relève des attributions de plusieurs ministères, de plusieurs structures qui se concurrencent. Nous devons travailler ensemble dans le cadre d'une gestion plus rationnelle, plus souple, transversale, plus adaptée aux situations les plus imprévisibles, sans perte d'énergie, sans gaspillage, en organisant des retours d'expérience et en explorant de nouvelles pistes de réflexion avec l'ensemble des acteurs concernés dans l'intérêt des victimes.
Les défis présents doivent dépasser les peurs qui trop souvent tétanisent.

Aujourd'hui, la question, au plus haut niveau de la République, n'est plus de se demander jusqu'où l'on peut aider des victimes. La question est de bien mesurer l'enjeu. La guerre classique n'est plus à l'ordre du jour.

Le premier des défis que nous devons relever est la menace, bien réelle, de la destruction de nos sociétés au travers du terrorisme de masse.
Il ne s'agit plus de savoir s'il est vraiment utile de mettre à disposition de S.O.S. ATTENTATS des bureaux supplémentaires.

Ce qui inverse les perspectives est de savoir comment, très rapidement, tirer de l'expérience de S.O.S. ATTENTATS, des points d'appui novateurs pour la stabilité de notre société et pour consolider le corps social.

En conclusion, M. le Premier Ministre, ne vous y trompez pas : notre discours ne se situe pas dans le registre de la demande sur le mode : " un peu de moyens, s'il vous plaît ".
Notre discours s'inverse : " vous qui avez en charge la République, qu'allez vous faire pour éviter le fossé entre les institutions et la société civile, à l'heure du terrorisme de masse ? ".
Sur cet enjeu crucial pour l'avenir de nos sociétés, nous sommes prêts à continuer à vous aider. Nous souhaitons seulement pouvoir le faire alors qu'il en est encore temps.

Merci à tous.