Lutte contre l'oubli
Cérémonies d'hommage
2004

Discours prononcé par Madame Nicole Guedj,
Secrétaire d’Etat aux Droits des Victimes,
le dimanche 19 septembre 2004,
cérémonie annuelle d'hommage à toutes les victimes du terrorisme

Je suis profondément troublée et émue de l'honneur qui m'est fait de présider les cérémonies qui se tiennent autour de ce mémorial, mais aussi de la confiance que vous m'accordez.

Vous le savez, car j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, le secrétariat d'Etat dont j'ai la charge est le vôtre, il est dédié aux victimes, à leur accompagnement, à leur soutien, et destiné à relayer votre voix au plus haut niveau de l'Etat.

Il est aussi symptomatique de la prise de conscience du personnel politique, et au premier rang desquels le Premier Ministre et le Président de la République, de ce que tout n'a pas encore été fait pour les victimes.

Vous avez indiqué, Madame, que de nombreuses avancées avaient été faites en matière d'indemnisation, de procédure et de construction européenne judiciaire.
Mais vous avez évoqué également, nombre de sujets d'interrogation concernant la lutte contre l'impunité, et de manière plus générale, pour la justice et pour la liberté.

Je voudrais tout d'abord vous rassurer: je ne suis pas de ceux, ou de celles, qui estiment que la justice doit n'exister que pour sanctionner les coupables.
Je suis intimement convaincue qu'elle est aussi là pour réparer les préjudices causés aux victimes, de même qu'elle fait partie du nécessaire processus de reconstruction psychologique des personnes touchées, notamment par des actes terroristes.
La recherche de la vérité, qui participe de cette reconstruction de la victime, passe aussi par le prétoire.

Alors d'évidence, il y a encore énormément à faire… et cela me conforte dans la nécessité et la pertinence de ce secrétariat d'Etat: dans le champ de l'accès à la justice, dans celui de la lutte contre l'immunité et contre l'impunité, dans celui encore, de la recherche d'une meilleure coopération judiciaire internationale.
A cet égard, vous citiez il y a quelques instants, le cas de Johannes Weinrich, qui vient d'être acquitté par une cour allemande pour défaut de preuve. Je tiens juste à préciser, au-delà du constat de carence que vous dressez concernant la collaboration transfrontalière entre autorités judiciaires, que cet individu, dont la "carrière" terroriste n'est pas contestée restera en prison : il a été condamné à la détention à perpétuité, en janvier 2000, pour son implication dans un attentat commis contre la Maison de France, à Berlin-Ouest, le 25 août 1983. L'attentat, qui avait détruit le bâtiment abritant le Centre culturel français et les services consulaires, avait fait 1 mort et 21 blessés.
Il s'agit sans doute d'une maigre consolation, mais cet homme n'est pas sorti libre de son passage devant la justice et demeurera plusieurs dizaines d'années en prison.

La création d'Eurojust, l'institution d'un mandat d'arrêt européen, même s'il est encore en "rodage", les réflexions actuelles sur la mise en place d'un parquet européen, ainsi que les ramifications du réseau judiciaire européen dont font notamment partie les magistrats de liaison, laissent augurer une meilleure coordination des efforts et une amélioration de la collaboration entre les justices des pays européens.

A l'échelle internationale aussi, des perspectives de travail commun sont ouvertes: j'étais récemment en Amérique du Nord où j'ai rencontré Irwin COTLER, le ministre de la Justice du Canada. A l'occasion d'un entretien bilatéral, il m'a confirmé que la lutte contre le terrorisme constitue une de nos causes communes et que nous pouvions compter sur son engagement personnel pour mettre tout en œuvre au service d'une coopération sans faille entre nos deux pays.

En ce qui concerne la justice, rien ne va jamais assez vite… et j'en suis parfaitement consciente. Mais je crois sincèrement qu'il y a matière à espérer une meilleure efficacité de la lutte contre le terrorisme et de la réponse judiciaire qui lui est apportée, car les volontés politiques sont véritablement tournées vers cet objectif.

Je m'engage pour ma part à vos côtés pour rappeler vos attentes et votre légitime impatience, de même que pour étudier avec la plus grande attention toutes les propositions que vous formulez, que ce soit sur le plan national ou international.
En matière d'indemnisation, aussi, le combat est toujours à recommencer.
Je pense tout particulièrement aujourd'hui aux victimes de l'attentat du DC 10 d'UTA survenu le 19 septembre 1989 alors qu'il survolait le Tchad.
Je sais les efforts que SOS Attentats a déployés aux côté de l'Etat français, et du président de la République lui-même, pour que toutes les victimes sans distinction et dans la plus grande équité, bénéficient d'une indemnisation effective.
Je salue donc l'accord du 9 janvier 2004 qui a permis le déblocage de fonds dans ce but. Après une concertation étroite de mon secrétariat d'Etat avec la Caisse des dépôts et consignations, j'ai sollicité une personnalité à la compétence et à l'autorité incontournables, qui a accepté de présider la Fondation chargée de procéder à la répartition des sommes.
Je tenais aujourd'hui à vous en faire l'annonce, tout en réservant aux membres du conseil d'administration la primeur de l'identité de cette personne.

Dans un autre registre, vous mentionniez également dans votre discours le devoir de mémoire que nous avons à l'égard de ceux qui sont tombés.
Depuis 1998, il sont nombreux, les ministres et responsables politiques de tous ordres qui sont venus remplir cette obligation impérieuse autour de ce mémorial.
Tous ont pu se recueillir en mémoire des victimes des attentats passés, dont les braises du souvenir sont sans cesse rallumées par des nouveaux actes odieux: New York, Washington, Karachi, Bali, Madrid… et tous ces autres attentats quotidiens, même si d'une moindre ampleur, qui endeuillent au jour le jour des dizaines de familles.

Mais le devoir de mémoire, c'est aussi rappeler à tous ce qu'est le terrorisme.
Le terrorisme n'a rien de romantique, il n'a rien de délicieusement libertaire, il n'a rien de subtilement subversif…
Le terrorisme tue, il aveugle, il rend sourd, il mutile, il plonge des êtres humains, nos frères ou nous-mêmes, dans la douleur et l'effroi, dans la tristesse et l'incompréhension.
La responsabilité d'actes d'une telle gravité, qui sont aussi constitutifs d'une violation flagrante des droits de l'homme, des principes de liberté et de démocratie, doit être recherchée, même de nombreuses années après les faits, non seulement pour des raisons d'effectivité de la justice, mais aussi, pour les victimes.

C'est pour cela que je vous rejoins sur cette conviction qu'il faut tout faire pour mettre en œuvre les mandats d'arrêts internationaux et poursuivre avec la plus grande détermination les auteurs à travers le monde.
Le glaive de la justice doit être plus que jamais, et surtout pour ces nouveaux barbares, une véritable épée de Damoclès.

Vous m'avez fait l'honneur, madame, de me faire la dépositaire de beaucoup de vos espoirs. C'est une lourde responsabilité que j'accepte et que je suis décidée à assumer.
Croyez bien que je mets tout en oeuvre pour ne pas vous décevoir…au nom de la parole donnée, mais aussi en mémoire des victimes que nous venons ici commémorer.
Je vous aiderai bien évidemment, comme vous m'y engagez, à faire "progresser cette justice" et à vous aider dans votre "quête de vérité".

Dans l'ouvrage que S.O.S. Attentats a publié sur le thème "terrorisme, victimes et responsabilité pénale internationale", un des auteurs cite John DONNE: "Nul homme n'est une île complète en elle-même; chaque homme est un morceau du continent, un morceau de l'ensemble…La mort de chaque homme me diminue, car je suis impliqué dans l'humanité…N'envoie donc jamais demander pour qui sonne la cloche: elle sonne pour toi".

Cette cloche, elle sonne pour moi aussi…et c'est pour cette raison que mon énergie, et mon cœur, vous sont dévoués.

Merci.